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Trois personnalités culinaires qui nous inspirent

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Vous connaissez le baharat, le loumi, le nuoc-mam ou le panela? Ces ingrédients venus d’ailleurs prennent une toute nouvelle saveur lorsqu’ils rencontrent des aliments d’ici. Pour en discuter (et cuisiner!), nous avons réuni autour de notre table trois créatrices et créateur de recettes qui maîtrisent l’art de la gastronomie de leur pays d’origine, tout en créant des ponts entre les cultures grâce aux saveurs. La cerise sur le gâteau? Leurs recettes spécialement conçues pour Recettes d’ici, inspirées de leurs influences et de leurs parcours. Toute une mise en bouche!
La cuisine comme porte d’entrée
Adelle Tarzibachi a immigré au Québec au tournant des années 2000. À son arrivée, elle vit une épiphanie en découvrant une richesse culinaire insoupçonnée. « En venant ici, on a découvert les parfums des autres pays, ce qui nous était étranger. On a une telle diversité ici», raconte-t-elle, encore émerveillée. En mettant sur pied les Filles Fattoush, une entreprise d’économie sociale qui emploie des femmes réfugiées syriennes, son souhait est d’à son tour transmettre ce même ravissement face aux saveurs syriennes.
Issu de la diaspora sino-malaisienne et sino-indonésienne, le styliste culinaire Daniel Chen a, quant à lui, toujours baigné dans un environnement où la cuisine était bien présente. Elle demeure pour lui un formidable terrain d’expression. « La cuisine diasporique est une réflexion de l'histoire et des histoires dont elle est issue, mais aussi du terroir dans lequel elle s’ancre. Et c’est un terrain de jeu tellement inspirant», partage-t-il.
De son côté, Mariana Martin est une jeune cheffe qui dirige la boulangerie mexicaine Carlota. Formée en cuisine au Mexique, à New York et en France, elle a aussi étudié l’anthropologie culinaire, pour mieux comprendre les échanges culturels à travers les aliments. La nourriture, nous dit-elle, est un langage empreint d’histoire dont les secrets peuvent se révéler à l’infini. «Lorsque l’on est devant une assiette, on est devant quelque chose de bien plus grand que ce que l’on s’apprête à manger.»
Prendre le meilleur de chaque endroit
Les trois pros de la cuisine sont unanimes: mélanger des ingrédients d’ici avec des aromates et des épices d’ailleurs mène à des créations savoureuses et originales.
Quand la cuisine syrienne rencontre les produits québécois
Adelle évoque la lasagne comme exemple: « Quand je suis arrivée ici, il n’y avait pas vraiment de produits du Moyen-Orient. On a donc découvert le pays en même temps que ses parfums et ses recettes, influencées elles-mêmes par d’autres cultures. Aujourd’hui, par exemple, on cuisine des lasagnes dans ma famille. Mais ça n’a rien à voir avec les lasagnes québécoises, ni italiennes!»
Ayant toujours privilégié les ingrédients frais, de saison et non-transformés dans sa cuisine, la cheffe a vite adopté les légumes de saison du Québec, le yogourt nature et le lait d’ici, qu’elle parfume et assaisonne selon la recette concoctée. « À partir d’un bon ingrédient de base comme le lait, qu’on a toujours au frigo, on peut créer une infinité de desserts syriens. On y ajoute de l’eau de fleur de rose ou de fleur d’oranger, on garnit de pistaches, et voilà, le tour est joué! »
S’adapter avec coeur et créativité
Mariana abonde dans le même sens. «Quand on voyage ou qu’on s’installe ailleurs, on va cuisiner à partir de la disponibilité des ingrédients et s'adapter à ce qu'on a.» Dans sa cuisine, elle marie les saveurs mexicaines à des produits locaux et des ingrédients traditionnellement associés à la cuisine française.
«En général, les Québécois sont gourmands et j'adore ça. Ils ont ce souci de consommer des produits locaux, d'encourager les fermiers. Ce qui est extraordinaire aujourd’hui, c’est qu’avec l’immigration et l’arrivée de travailleurs étrangers, de nouveaux produits sont apparus. Les tomatillos, les piments et les fromages latinos (notament ceux des Fromages Latino en Estrie) sont maintenant disponibles ici, sans être issus de l’importation.»
Le fromage Panela est d’ailleurs au cœur d’un des plats qu’elle propose et qui s’inspire du tacos al pastor. Cette recette mexicaine témoigne elle-même de toute la richesse gastronomique que permet le métissage des cultures. « Le al pastor vient des immigrants libanais qui se sont installés au Mexique au début du 20e siècle», explique Mariana. « En l’absence d’agneau, ils l’ont remplacé par une autre viande, ils ont modifié les épices, puis changé le pain pour la tortilla. Dans ma version, je remplace la viande par un fromage produit ici, tout en gardant la technique mexicaine.»
Un voyage gustatif et émotif
Chez Daniel, c’est l’émotion liée aux saveurs qui guide ses créations. Lorsqu’un ingrédient est introuvable ici, il cherche une alternative qui évoquera la même sensation, la même «résonance émotionnelle» du plat. C’est ainsi que, pour remplacer l’usage généreux des huiles chinoises aromatisées, il a opté pour le beurre. Celui-ci lui permet de conserver le côté doux, équilibré et raffiné de la cuisine cantonaise. Le char siu qu’il propose, un mets traditionnel cantonais, est donc laqué d’une sauce au beurre riche et onctueuse. « On peut comprendre les croisements des cultures par les couches de saveurs », dit-il.
Aller à la rencontre de l’autre, une assiette à la fois
Pour Mariana, manger, c’est bien plus que se nourrir. C’est d’abord et avant tout se raconter et partager une histoire. Dans son livre (de recettes) à elle, la nourriture est un love language qui permet de faire le pont entre les cultures.
« Peu importe notre origine, en tant qu’immigrant, on est toujours un peu ambassadeur de notre culture», explique-t-elle. Tout le monde aime manger, alors la table permet de créer un espace de partage et de créer un lien. En intégrant un ingrédient qui lui est familier, il est plus facile d’amener quelqu’un à essayer un plat. Dans mes recettes, j’ai utilisé des produits laitiers qui sont rassembleurs et qui permettent d’intégrer de nouvelles saveurs tout en retrouvant un certain réconfort. »
Dans la cuisine d’Adelle, on voyage dans le passé tout en tissant des souvenirs dans le présent. On y prépare des plats, on revisite des pans de son enfance, on sent les effluves d’un autre coin du monde, on évoque des anecdotes et on donne au suivant. « Quand je cuisine, je voyage dans mes souvenirs et j’en crée de nouveaux avec les ingrédients que je découvre ici. »
Et pour Daniel, tout est une question d’équilibre. « J’essaie de respecter la tradition tout en intégrant des ingrédients réconfortants pour les gens. Il faut que ma cuisine puisse être servie à des gens d’ici comme à ma mère », illustre Daniel Chen.
Ça vous inspire? Toutes les recettes d’Adelle, Mariana et Daniel se trouvent ici.